L'Exposition des Arts Décoratifs à Paris en 1925


La création artistique en France pendant les années folles est marquée surtout par l'organisation de l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes qui s'est tenue à Paris d'avril à octobre 1925. Située entre l'esplanade des Invalides et les abords des Grand et Petit Palais, l'exposition regroupe les pavillons des régions de France et des grandes nations invitées. 4 000 personnes assistent à l'inauguration, le 28 avril. Des milliers de visiteurs se pressent chaque jour dans les allées pendant les six mois de manifestation.


Louis Bonnier et Charles Plumet conçoivent le plan général de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes et sont responsables du programme architectural.



Une véritable ville dans la ville étendue sur vingt trois hectares s’élève sur deux axes, de la place de la Concorde au pont de l’Alma pour le premier, du rond-point des Champs-Elysées aux Invalides en traversant le pont Alexandre III pour le second. Ce sont cent cinquante pavillons et galeries qui abritent l’œuvre de 20 000 personnes. 



Certains regretteront cet emplacement traditionnel des expositions universelles, au cœur de Paris plutôt qu’à sa périphérie. Le choix de la périphérie aurait permis de construire une architecture pérenne et se serait prêté à un exercice pratique d’architecture et d’urbanisme destiné à être un modèle de modernité, auquel Le Corbusier ou Mallet-Stevens pensaient déjà : Le Corbusier avait dessiné en 1925 le plan Voisin pour le centre de Paris et Mallet-Stevens a écrit " La Cité moderne " en 1922.


Un billet d'entrée pour l'Exposition des Arts Décoratifs à Paris en 1925
Des bons à lors permettaient de bénéficier de tarifs spéciaux pour se rendre à l'Exposition des Arts Décoratifs de 1925, comme ici pour un voyage en train (Billets 2ème classe Chemin de Fer du Nord aller retour de Tourcoing à Paris)

Les pavillons éphémères seront en effet détruits. Georges Mouret parle d’une forme " d’immoralité qu’il y a, dans les temps difficiles que nous traversons, à dépenser et faire dépenser des centaines de millions pour l’édification de bâtisses en carton ne correspondant à aucune des nécessités essentielles à la vie actuelle ". Le critique d’art Christian Zervos la décrit à l’époque comme une " foire en carton-pâte ". D’autres, comme Waldemar George, n’accusent pas l’Exposition en tant que telle mais " l’art décoratif qui est anti-social, anti-démocratique ". Pourtant, le public de l’exposition de 1925 est au rendez-vous, séduit par les fastes de l’architecture Art Déco, et la manifestation est perçue comme un véritable succès. Seuls quelques critiques et architectes en relèveront les limites.



En organisant une manifestation d’envergure entièrement consacrée aux Arts décoratifs modernes, le gouvernement français et la municipalité parisienne souhaitaient redonner une impulsion à l’industrie du luxe après la douloureuse césure de la première guerre mondiale et face à la concurrence toujours plus grande des productions étrangères.

Comme son nom l’indique, l’exposition avait un caractère international et, hormis l’Allemagne, la plupart des pays d’Europe y participèrent.

Le pavillon du textile de Roubaix et Tourcoing, et les arbres cubistes des frères Martel dessinés par Mallet-Stevens








Comme le pavillon du tourisme, les arbres cubistes de l'exposition de 1925 réalisés par les frères Martel selon des dessins de Robert Mallet-Stevens trancheront avec les éléments environnants, au point de faire la joie des caricaturistes.



Etudes pour l'arbre cubique (élévation et projection horizontale)




Le grand totem en façade, du musée des années 30 à Boulogne Billancourt, est une réplique en béton et résine de l’Arbre cubiste des frères sculpteurs Joël et Jean Martel, fait en collaboration avec Robert Mallet Stevens pour l’exposition internationale de Paris en 1925, afin de démontrer la solidité du béton armé en architecture.

Le pavillon du tourisme de Mallet-Stevens



Robert Mallet-Stevens réalisera le Pavillon du tourisme pour l'Exposition des Arts Décoratifs à Paris en 1925. Architecture d’avant-garde pour un loisir naissant : le tourisme, c'est l’un des pavillons les plus représentatifs, malgré sa modestie. 










Le Hall de l'Ambassade de France de Mallet-Stevens

L’Exposition de 1925 a donné un essor considérable à la création artistique et industrielle du luxe. Manifestation élitiste, elle donna une place de premier ordre aux artistes du courant de l’Art Déco, toutes disciplines confondues. Pourtant, ce rayonnement annonçait aussi l’inévitable transition des années folles aux années 30. L’Exposition minimisa encore ce passage du raffinement Art Déco vers le rationalisme architectural du Modern Style, incarné par les architectes Mallet-Stevens et Le Corbusier. Le Pavillon de l’Esprit Nouveau, conçu par ce dernier et décoré de tableaux de Fernand Léger, offrait un premier témoignage significatif des voies nouvelles d’une avant-garde promise à triompher quelques années plus tard.



L’Ambassade de France, réalisée par la Société des Artistes décorateurs sous le patronage du ministre des Beaux-arts, est conçue pour être l’ambassadrice du goût français à l’étranger. Elle fait appel à la plupart des artistes ensembliers reconnus et illustre en même temps les tendances antagonistes du moment  : Pierre Chareau pour le bureau-bibliothèque, Mallet-Stevens pour le hall, Francis Jourdain pour le fumoir et la salle de culture physique mais aussi Ruhlmann, Leleu, Groult, Jallot, Dunand, Süe et Mare…




À l'exposition des Arts décoratifs de 1925, Fernand Léger décore avec Delaunay le hall d'entrée du pavillon d'une ambassade française et exécute ses premières peintures murales pour Le Corbusier au pavillon de l'Esprit nouveau. Le tableau exposé par Fernand Léger, ami de Mallet-Stevens, fera scandale. La peinture devant même être enlevée lors de l'inauguration. Dès 1921, Léger était en relation avec les artistes du Stijl, Van Doesburg et Mondrian, dont la galerie l'Effort moderne avait publié des textes l'année précédente. Le Néo-Plasticisme lui paraît alors " une libération totale, une nécessité, un moyen de désintoxication ". En fait, il va aider Léger à prendre conscience de sa vocation murale, et son influence sera déterminante sur les grandes compositions abstraites de 1924-25, qu'il appelle des " enluminures de murs " (Composition murale, 1924, Biot, musée Fernand Léger). 

Le fumoir de l'Ambassade de France à l'Exposition de 1925

A part le pavillon du tourisme de Robert Mallet-Stevens, un autre pavillon représentatif de l'avant-garde est le pavillon-manifeste de l’Esprit nouveau de Le Corbusier.

Le pavillon de l'architecte, d'origine suisse (photo ci-dessous),  illustre les théories de son auteur tel un manifeste sur l’habitation et l’équipement intérieur en proposant une cellule d’habitation standard, entièrement équipée (et non pas meublée selon ses propos) par Charlotte Perriand. Selon ses concepteurs, le génie moderne s’étend à toute la production et ne se limite pas aux arts plastiques ou appliqués seulement.  Relégué dans un angle du Grand Palais, le pavillon reste incompris dans sa démarche innovante : transformation du plan, standardisation, industrialisation. " Il n’y a pas d’architecture ici ", conclut le vice-président du jury du grand prix de l’Exposition. A l’ouverture de l’Exposition, le commissariat général le cache par une palissade sous le prétexte de son inachèvement, mais elle sera démontée le lendemain sur ordre du ministre de l’Instruction publique. Un visiteur de l'Exposition, du nom de Maurice Languereau - l'inventeur du personnage de la bande dessinée Bécassine - regrette de n'avoir vu le pavillon qu'à travers les palissades : " Nous ferons l'acquisition du Guide Officiel car j'aimerais bien connaître le nom de l'architecte de cet édifice d'un style aussi inédit " (cité dans "1925, quand l'Art déco séduit le monde", catalogue d'exposition, Cité de l'Architecture, Norma, 2013,  p. 87)  


Organisée du 28 avril au 25 octobre 1925 avec la participation de 21 pays, l'exposition n'a pas la même ampleur qu'une exposition universelle. Elle s'en démarque également sur le plan architectural avec de nets partis pris d'innovation « qui excluent quasiment tout recours aux styles régionalistes ou au pastiche si convenus des expositions précédentes » (Bertrand Lemoine). Manifestation de l'Art Déco, de l'Esprit nouveau et des « machines à habiter » de Le Corbusier, des constructions de Mallet-Stevens, Peter Behrens, Constantin Meklnikov. Architecture extérieure et décoration intérieure s'affichent conjointement et le mobilier exposé s'inscrit en rupture avec les canons du XIXe siècle.


Le peintre Charles Dufresne résume l'esprit général en disant que « L'art de 1900 fut l'art du domaine de la fantaisie, celui de 1925 est du domaine de la raison ». Cette tendance générale s'exprime au travers de deux mouvements opposés : le style Art Déco et l'avant-garde internationale (dite aussi Modernisme ou Style international).





La polémique autour de l’adjectif  " décoratif ".

A peine l’Exposition ouverte, les critiques fusent : " L’Art décoratif est à supprimer. Je voudrais d’abord savoir qui a accolé ces deux mots art et décoratif. C’est une monstruosité. Là où il y a de l’art véritable, il n’est pas besoin de décoration " déclare l’architecte Auguste Perret.
Le Corbusier, dont le pavillon de l’Esprit nouveau est relégué dans un coin de l’exposition déclare " l’art décoratif, c’est de l’outillage, du bel outillage " ou encore "le décor camoufle". Son pavillon-manifeste concrétise les idées émises dans la revue homonyme fondée en 1919 avec Amedée Ozenfant : L'esprit nouveau paraît jusqu’en 1925 et défend un programme d’architecture anti-décoratif.

Il est inspiré par l’architecte autrichien Adolf Loos et notamment par son texte " Ornement et crime " édité en 1908 et repris par Le Corbusier dans la revue L'esprit nouveau en 1920 :   " L’absence d’ornement a porté les autres arts à une hauteur insoupçonnée.  […] Nous avons gagné en finesse et subtilité. Les hommes en troupeau étaient obligés de se distinguer par diverses couleurs, l’homme moderne, lui, use de son habit comme un masque. Si immensément forte est son individualité qu’elle ne se laisse plus exprimer par des pièces de vêtement. L’absence d’ornement est une force spirituelle. L’homme moderne se sert comme bon lui semble des ornements de cultures antérieures et étrangères. Sa propre invention, il la concentre sur autre chose ".  En 1931, il écrit  " D'un combat de trente années, je suis sorti vainqueur. J'ai libéré l'humanité de l'ornement superflu. "Ornement", ce fut autrefois le qualificatif pour dire "beau". C'est aujourd'hui, grâce au travail de toute ma vie, un qualificatif pour dire "d'une valeur inférieure. Je sais que l'humanité m'en sera reconnaissante un jour, quand le temps épargné sera bénéfique à ceux qui jusqu'à présent étaient exclus des biens de ce monde. "  Adolf Loos dans Ornement et crime, Rivages, 2003. 

De là se dégagent les deux tendances qui irrigueront les années 20, l'une qui refuse le décor au nom du rationalisme, l'autre qui le retient mais soumis à la grille cubiste.


Le Pavillon russe de Konstantin Melnikov est le seul à s’être fait remarquer parmi les pavillons étrangers pour la qualité de son architecture. L’architecte constructiviste Konstantin Melnikov, assisté d'Alexandre Rodtchenko, réalise une forme de synthèse entre les différentes tendances de l’avant-garde européenne : d’une simplicité apparente de conception, il s’oppose aux partis symétriques traditionnels, se joue de l’art décoratif et représente un modèle de modernité pour l’époque. Il obtient le grand prix d’architecture de l’Exposition.






Le style Art Déco prend son essor avant la guerre contre les volutes et formes organiques de l'Art nouveau. Il consiste en un retour à la rigueur classique : symétrie, ordres classiques (souvent très stylisés), pierre de taille (sans aucun effet pittoresque). Le décor, encore très présent, n'a plus la liberté des années 1900 ; il est sévèrement encadré et son dessin s'inspire de la géométrisation cubiste.

L'exposition de 1925 marque l'apogée de ce style : les pavillons des grands magasins parisiens (tels le Printemps ou les Galeries Lafayette) ainsi que le pavillon du Collectionneur sont les plus remarqués. Pour ce dernier, l'architecte Pierre Patout opte pour un style classique : avancée arrondie côté jardin, frises ornées de bas reliefs, saillie du salon ovale, colonnes simplifiées (sans base ni chapiteau). La décoration intérieure, luxueuse, élégante, de grande qualité, revient à Jacques-Émile Ruhlmann qui agrémente les pièces de meubles, d'objets raffinés et précieux, inspirés du XVIIIe siècle. Ce pavillon suscite l'admiration de tous les visiteurs. La spécificité du créateur Art Déco, dont Ruhlmann est le meilleur exemple, est qu'il est considéré comme un « ensemblier » ; il doit créer la totalité de la pièce choisie, du sol au plafond en concevant harmonieusement architecture, mobilier et accessoires.




Le succès de l'exposition de 1925, relayé par la presse, permet à l'Art Déco de se propager en France et dans le monde entier (Londres, New York, etc.).

Face à cette écrasante domination des pavillons Art Déco, l'avant-garde internationale a peu de place pour présenter ses idées modernistes. Les deux pavillons majeurs de ce mouvement sont le pavillon de l'URSS, dessiné par Constantin Melnikov et le Pavillon de l'Esprit nouveau de Le Corbusier.

Ce dernier illustre les concepts du Purisme décrits dans la revue Esprit nouveau fondée avec Ozenfant en 1920. La différence avec les ensembliers Art Déco est notable : Le Corbusier, assisté de son cousin Pierre Jeanneret, réalise le mobilier mais il le nomme « équipement ». Ce sont des sortes de casiers standards, incorporés aux murs ou modulables. À l'intérieur de la cellule d'habitation, aucun décor n'est toléré. Seules de véritables œuvres d'art de Léger (La balustre), Ozenfant, Gris, Picasso et Le Corbusier (Nature morte de l'Esprit Nouveau) sont exposées.

Si, à l'époque, l'Art Déco sort grand vainqueur de cette exposition, aujourd'hui, les historiens de l'architecture retiennent davantage les propositions avant-gardistes qui constituent la véritable révolution architecturale de la première moitié du XXe siècle.






Chacune des vingt-et-une nations possédait ses propres pavillons, dans lesquels étaient exposés les ouvrages les plus significatifs des travaux d’art décoratif moderne. La France, en qualité d’organisatrice, possédait plusieurs pavillons dédiés tant à ses colonies qu’à ses manufactures.

Le public accédait à ce vaste parc d’attraction culturel et artistique par l’entrée gigantesque installée sur la place de la Concorde. L’Esplanade des Invalides constituait l’un des cœurs de l’exposition. Quatre tours immenses, conçues par l’architecte Plumet et décorées par les plus grands noms de l’Art Déco, y délimitaient le périmètre consacré aux productions françaises.


La foule des visiteurs à l'Exposition des Arts Décoratifs de Paris en 1925

Couronnée de succès, l’exposition fut visitée par plus de 15 millions de promeneurs ébahis.







Parmi les pavillons remarquables, le pavillon du Collectionneur, à l’architecture cubiste élaborée par Pierre Patout est décoré par Jacques-Emile Ruhlmann, le plus illustre créateur de mobilier de luxe Art Déco.  Par son luxe inouï, ce pavillon est celui qui déchaîne l’ire des partisans d’une exposition aux vertus sociales mais c’est aussi celui qui assure à Ruhlmann un retentissement international. Le pavillon est aménagé par plusieurs autres artistes renommés : Jean Dupas, Bourdelle, Janniot, Pompon (et son célèbre ours), Jean Dunand… Il instaure une nouvelle manière de travailler, moins individualiste, impliquant la prise en charge par un maître d’œuvre  d’un groupe d’artistes et d’artisans pour constituer un décor d’intérieur dans son ensemble. Un nouveau mot est né : ensemblier, caractéristique des artistes Art Déco.




La Fontaine Lalique (ci-dessus et ci-dessous) est une réalisation de l'architecte Jacques Greber, qui a été le premier architecte contacté par Paul Cavrois pour la construction de sa villa.





Les pavillons, la rue des boutiques et les Grands magasins

L’Exposition révèle une volonté de production et de diffusion de la création française : tandis qu’une rue bordée de boutiques comme au Moyen-Age s’ouvre sur le pont Alexandre III (Lalique, Revillon, Luce...), les Grands Magasins confient leurs pavillons abritant leurs ateliers d'art à des architectes de renom :

• Le pavillon Pomone du Bon Marché (carte postale ci-dessous) par Louis-Hippolyte Boileau, le pavillon Studium des Grands magasins du Louvre par Albert Laprade, le pavillon la Maitrise des Galeries Lafayette par Joseph Hiriat, Georges Tribout et Georges Bea.


• Le pavillon Primavera du Printemps (photo et document d'étude ci-dessous) par Henri Sauvage - architecte de la Samaritaine en 1926 - et Georges Wybo, architecte des futurs Prisunic. Décrite par certains comme une boite à bijoux fantasmagorique, la toiture originale de cette hutte en béton armé est recouverte de grandes lentilles en verre coulé de Lalique et l’ossature est construite par les frères Perret.

















Parmi le peu de pavillons étrangers, Victor Horta conçoit le pavillon belge et Joseph Hoffmann celui de l’Autriche (carte postale ci-dessous) mais sans grande inspiration. Hoffmann est pourtant l'auteur de l'archétype de l'architecture 1925 : le palais Stoclet à Bruxelles, avec un mélange d'élégance et de rationalisme que l'on retrouve chez Mallet-Stevens.  Celui de l’Italie est un pastiche de l’antique, qui tranche à côté du pavillon du tourisme de Robert Mallet-Stevens, alors que ceux des Pays-Bas et du Danemark (photo ci-dessus) sont remarqués pour leur originalité. 







Le théâtre en bois (ci-dessous) et le pavillon de la librairie centrale des Beaux-Arts d’Auguste et Gustave Perret

Représentant de l'architecture rationaliste,  le théâtre en bois des frères Perret est une sorte de laboratoire éphémère, un essai en bois, béton et acier. Auguste Perret est aussi l'architecte du Théâtre des Champs-Elysées, inauguré en 1913. Il montre une maîtrise particulière dans l'utilisation du béton, qu'il met en œuvre grâce à l'entreprise familiale Perret. Pour  l'Exposition de 1925, les frères Perret construisent aussi le pavillon de la librairie, admiré et acheté par la Samaritaine.